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Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/219

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le livre de la pousta

un écho au fond de mon âme. Parle-t-il de son passé, il me rappelle ma jeunesse. Et quand il se tait, la voix éternelle de la nature parle pour lui… »

Le pâtre, maître paisible et lent de la Pousta solitaire, revient souvent dans les récits de M. de Justh. Le voici par une belle soirée d’été (La Pousta.). « Rien ne trouble le calme de la Pousta… Des bœufs, traînant lentement leurs ombres longues, s’avancent vers l’auge : le pâtre, grand, majestueux, superbe, les suit. À chaque pas il s’arrête, d’un mouvement rajuste sa bunda, redresse sa calotte de peau, s’appuie sur son bâton, et, sa pipe de terre cuite entre les dents, regarde devant lui les yeux vides, immobile, semblable à quelque statue grandiose… Le monde qui l’entoure lui appartient… Chacune des étoiles du firmament est à lui ; à lui le soleil qui donne la vie, à lui les fleurs de la Pousta sans fin ; il règne sur les aigles et les milans, parce qu’ici lui seul est l’homme. Lui seul ici sait rire, pleurer…

« La femme du pâtre est assise sur le seuil de la maison… Elle allaite son enfant… Elle ne se dérange pas à mon approche, n’essaie pas de voiler son sein nu, et me regarde en face avec tranquillité.

« Je lui parle de son mari ; je lui demande si elle n’est pas inquiète de lui qu’elle voit si peu. — Pourquoi ? répond-elle en souriant. — Ainsi vous