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le charme de l’histoire

grandes plaines au climat dangereux pour aller au loin chercher des zones plus clémentes, il dit adieu à cette terre qu’il aime, pensant que peut-être il mourra sur quelque plage lointaine, rêvant, comme le Grec de Virgile, à la douce Argos ; mais il part,


    parmi ceux qui accompagnèrent le jeune seigneur à sa demeure dernière.

    Sigismond de Justh n’écrivait pas pour écrire, mais pour atteindre un but, le relèvement de la Hongrie.

    À ses yeux, la littérature et l’art ne valaient que par la haute mission patriotique qu’il leur attribuait. Il voyait une noblesse frivole, tourmentée par le besoin d’argent ; il cherchait en vain une classe moyenne autochtone ; il n’apercevait de force et d’espoir que dans les paysans, le fond de la race. C’était pour élever le cœur des paysans qu’il écrivait, et tous en effet lisent ses ouvrages. Il composait pour eux de petites pièces, où ses domestiques et les habitants des Tanyas voisines avaient des rôles, et qu’il faisait représenter dans une salle de théâtre qu’il avait construite pour eux au milieu de son parc patrimonial, et qui maintenant y a été remplacée par son tombeau.

    Il se proposait de peindre successivement les diverses classes de la société Hongroise, mettant en relief leurs défauts, et leur montrant l’idéal qu’il les engageait à poursuivre. Il avait commencé par les paysans, dans son Livre de la Pousta et dans un autre ouvrage qui eut un grand succès en Hongrie, et qu’il faisait traduire en notre langue. Il m’écrivait le 7 janvier 1894, avec le pressentiment constant de la mort qui le guettait : « Cela sera (peut-être ?) pour l’année prochaine ». Il n’y eut plus d’année prochaine pour lui, et la traduction n’a pas été achevée ! Il avait étudié la noblesse dans deux autres œuvres, dont une seulement, celle qu’il avait tristement intitulée Fuimus, et qui, dit-on, est une sorte d’autobiographie, a été publiée après sa mort.

    Ses amis ont pieusement recueilli ses lettres et les ont déposées à la Bibliothèque de Budapest, espérant préserver ainsi son nom de l’oubli dans cette Hongrie qu’il a tant aimée, et qui peut-être ne soupçonne pas tout ce qu’elle a perdu par sa mort.