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le charme de l’histoire

comme le Dieu qu’il adore. Mais son Dieu ne le trompe jamais, parce que, ne le voyant que par l’imagination, il le trouve toujours tel qu’il l’imagine, tandis que la femme aimée, il la voit et la touche ; plus elle se donne à lui, plus il la juge. Un jour vient où le mirage s’évanouit, où la réalité apparaît, terne et banale, où la déception commence, d’autant plus cruelle que l’illusion a été plus profonde. Si les mariages d’inclination sont plus souvent malheureux que les autres, ce n’est pas qu’ils soient généralement plus déraisonnables ; mais l’illusion y avait pris une place plus grande ; on tombe de plus haut.

Remarquons encore dans Riquet à la houppe une autre image de la vie réelle. La vérité dans un conte ! Riquet aime la princesse à l’instant même où il la voit ; elle est belle, et la beauté appelle l’amour. La princesse est émerveillée de l’esprit de Riquet ; mais, comme il est dépourvu de beauté, elle ne l’aime pas ; elle ne comprend même pas qu’il puisse être aimé ! Il lui faut un long effort, un an de réflexion, de résignation peut-être, avant de s’apercevoir qu’on peut aimer un homme pour ses qualités morales, malgré sa difformité ; il faut que le pauvre Riquet lui dise, bien tendrement, bien tristement : « Essayez de m’aimer, et vous ces­ serez de voir ma laideur ! » Ceci ne tranche-t-il pas l’éternelle contestation entre l’esprit et la beauté ?