Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/76

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après de longues et curieuses négociations, la terre de Cheverny, près de Blois, et la lieutenance générale du Blaisois[1].

Il mena alors la vie d’un grand seigneur de province, administrant ses biens, gouvernant ses vassaux, recevant dans son château nombreuse compagnie, organisant des comédies dont il était l’auteur et l’impresario, visitant ses voisins, faisant parfois des voyages de plaisir ou d’affaires dans des terres plus éloignées, et passant chaque année quelques mois à Paris ou à Versailles.

Avec la Révolution commence une troisième période tristement différente des deux autres. Tandis que la plupart de ses amis émigrent, Dufort se réfugie dans sa terre, au milieu des paysans dont il se regarde comme le guide et le protecteur. Il y vit seul et retiré, apprenant de loin la fuite, l’arrestation ou la mort de tous les compagnons de sa vie. Malgré le soin qu’il prend à rester obscur, il finit par être emprisonné comme les autres. Rendu à la liberté par le 9 thermidor, il rentre dans son château désert et y attend morne et triste la fin de l’orage. C’est alors que « pour occuper son imagination, pour

  1. Sous l’ancien régime, le lieutenant général était un magistrat de robe courte qui remplissait dans sa province un emploi analogue à celui du lieutenant-civil au Châtelet, de Paris. En 1789, les lieutenants généraux présidèrent les assemblées primaires pour l’élection des députés aux États-Généraux.