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sabine

gulier procédé pour m’enlever la désillusion que m’a donnée mon mariage : c’est de vouer un culte à ce que mon mari aurait pu être, et à ce qu’il n’est pas ; c’est de dégager l’inconnue de ce problème charnel qui s’appelle brutalement Raimbaut, et d’en faire jaillir une sorte d’être à ma convenance, qui revient chaque après-minuit, pour disparaître avant l’aube. Il y a gros à parier que si, nouvelle Psyché, j’approchais ma lampe du lit nuptial afin de regarder celui qui dort à mes côtés, la désillusion serait forte ; mais comme je ne veux pas même une simple veilleuse, je peux à mon aise m’imaginer que celui qui me tient dans ses bras est l’ombre de ce que j’aurais rêvé…

Trêve de rire.

Te rappelles-tu quand tu me prenais sur tes genoux, et qu’avec tes élans de maternité chaude, tu m’insufflais les moindres de tes pensées ? Eh bien, ce n’était que de l’amitié, cela. Et pourtant, explique-le comme tu voudras, il y avait de l’ivresse. D’ailleurs, au fond de tout ce que j’aime, il y a, quand même, un peu de vertige, ou plutôt je ne vois jamais clair quand j’aime, et je ne saurais démêler de quel ordre sont les sentiments qui se lèvent à propos de toi ou de mon tuteur.

Existerait-il donc plus d’échappement du cœur et des sens dans l’amitié solide, que j’ai connue, que dans ce que j’éprouve aujourd’hui ? Le problème est là. Tu t’en expliqueras, n’est-ce pas, mon beau sphinx ? tu me raconteras tes théories là-