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sabine

voulut pas s’expliquer davantage. Était-ce une épice dont elle se plaisait à assaisonner leur projet, ou voulait-elle graduer encore le jeu inouï, la hardiesse stupéfiante dont elle offrait la preuve pour être agréable à Duvicquet ? Quoi qu’il en fût, il ne parvint pas à lui tirer autre chose.

— Puisque vous vous taisez, parlons alors du dernier amant de votre fille. Voulez-vous ? Cela va-t-il gentiment avec elle ?

Il rebut cinq ou six gorgées de kümmel et s’allongea sur la causeuse.

— Ne m’en parlez pas, répliqua Mme de Lupan, Rachel se conduit fort mal… à mon égard.

— Ce qui équivaut à se bien conduire dans la société ?

— Ma fille me laissera mourir à l’hôpital, Monsieur.

Duvicquet haussa les épaules.

— Qu’elle vous égorge un jour ou l’autre, si elle parvient à devenir une grande cantatrice, qu’est-ce que ça peut vous faire ? L’honnêteté doit-elle entrer pour quelque chose dans une conscience d’artiste ? Vous n’avez pas la prétention d’émettre cela ?

Elle voulut protester ; il poursuivit :

— Mais, moi qui vous parle, si en exprimant les entrailles de mon meilleur ami sur une palette, j’y trouvais des tons imprévus, rien ne m’empêcherait de le vider comme un poulet et de m’emparer de tout le jus de sa personne. Il n’y aurait qu’un bourgeois de moins et un chef-d’œuvre de plus.