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Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/274

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sabine

théâtre, et Sabine roulait d’un seul jet dans la convalescence avec la même facilité que dans la fièvre. Aussi, quelques heures après cette reprise de ses facultés, elle demandait gaiement à Renée : — Existe-t-il, par hasard, dans la grammaire un prétérit à l’usage des trépassés qui ont à parler d’eux ?

Ce n’était plus la petite Sabine, mais une grande et frêle jeune fille laissant percer le bout du ressort d’acier de son organisation ; maintenant les phalanges de ses doigts vous broyaient la main en vous la serrant résolûment, et, lorsqu’elle entreprit le tour du jardin, appuyée au bras de cette vaillante amie, un nœud indissoluble les enchaînait l’une et l’autre.

Mme de Sérigny se retrouvait vraiment mère, en proie à des cramponnements d’entrailles près de cette enfant qui lui devait de vivre à nouveau. Il lui semblait que sa fille adoptive lui tenait par des liens charnels.

— Que je te regarde encore, mon beau « moi » ! disait-elle en l’embrassant, heureuse et toute fière.

Elle lui parlait avec une intonation passionnelle qui mettait une suavité dans les coins rudes de sa voix vibrante comme une pièce de bronze, où le mot n’atteignait que rarement la modulation ; cette voix blessait alors aussi souvent qu’elle avait sensualisé la vie organique de ceux qui l’écoutaient, et maintenant son accent retrouvait la longueur des phrases d’amour pour s’étendre comme une caresse qui va s’allongeant jusqu’aux lèvres.