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sabine

— Je sais bien que vous reprendrez votre grande objection : c’est que je l’ai mal élevée. Est-ce que je suis organisé pour élever des filles, moi ? pour en faire, je ne dis pas…

— Mon pauvre Henri, vous prêchez précisément ce que vous reprochez à Sabine. Est-ce qu’elle est née pour élever des enfants, elle ? Pas plus que vous, hélas ! je le crains.

— Mais alors, vous lui donnez raison. Pourquoi, vous aussi, voulez-vous la marier ?

— Parce que, reprit Renée après une pause, parce que, voyez-vous, nous ne voulons pas en général pour nos enfants de la vie que nous avons vécue. Rappelez-vous Mme Dorval empêchant sa fille d’aborder le théâtre : « Je sais trop ce que c’est », s’écriait-elle. Nous aussi, qui avons été outragés et bafoués par ce monde de dirigeants qui nous lardaient parce que nous aimions en dehors du mariage, nous répétons à notre tour : — C’est bon pour nous ces souffrances-là. — Mais quant à nos enfants… oh non ! — pas pour eux — nous savons trop ce que c’est.

Le peintre se tut. Un reflet verdâtre courait dans ses yeux. Instinctivement il fit un pas vers Mme de Sérigny.

— Vous rappelez-vous, poursuivit-elle d’une voix sifflante, vous rappelez-vous ces hurlements quand vos toiles arrivaient au Salon ? — Ce n’est pas étonnant, clamaient les délateurs, qu’il apporte dans sa peinture ces râles de démence, ces teintes furieuses, cet homme qui ne connaît que le débraillé de la vie,