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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/218

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CHRONIQUES

déplorant les œuvres d’un écrivain de leurs amis, ajoutent : « Et si vous saviez quels ravissants billets il écrit quand il se laisse aller ! Ses lettres sont infiniment supérieurs à ses livres. » En effet c’est un jeu d’enfant de montrer de l’éloquence, du brillant, de l’esprit, de la décision dans le trait, pour qui d’habitude manque de tout cela seulement parce qu’il doit se modeler sur une réalité tyrannique à laquelle il ne lui est pas permis de changer quoi que ce soit. Cette hausse brusque et apparente que subit le talent d’un écrivain dès qu’il improvise (ou d’un peintre qui « dessine comme Ingres » sur l’album d’une dame laquelle ne comprend pas ses tableaux) cette hausse devrait être sensible dans la Correspondance de Flaubert. Or c’est plutôt la baisse qu’on enregistre. Cette anomalie se complique de ceci que tout grand artiste qui volontairement laisse la réalité s’épanouir dans ses livres se prive de laisser paraître en eux une intelligence, un jugement critique qu’il tient pour inférieur à son génie. Mais tout cela qui n’est pas dans son œuvre, déborde dans sa conversation, dans ses lettres. Celles de Flaubert n’en font rien paraître. Il nous est impossible d’y reconnaître avec M. Thibaudet, les « idées d’un cerveau de premier ordre », et cette fois ce n’est pas par l’article de M. Thibaudet, c’est par la Correspondance de Flaubert que nous sommes déconcertés. Mais enfin puisque nous sommes avertis du génie de Flaubert seulement par la beauté de son style et les singularités immuables d’une syntaxe déformante, notons encore une de ces singularités par exemple un adverbe finissant non seulement une phrase, une période, mais un livre. (Dernière phrase d’Hérodias : « Comme elle était