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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/33

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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

d’aucun autre peintre et l’invitation plus précieuse que celle d’aucune autre maîtresse de maison : j’ai nommé Madeleine Lemaire. Je n’ai pas à parler ici de la grande artiste, dont je ne sais plus quel écrivain a dit que c’était elle « qui avait créé le plus de roses après Dieu ». Elle n’a pas moins créé de paysages, d’églises, de personnages, car son extraordinaire talent s’étend à tous les genres. Je voudrais très rapidement retracer l’histoire, rendre l’aspect, évoquer le charme de ce salon en son genre unique.

Et d’abord ce n’est pas un salon. C’est dans son atelier que Mme Madeleine Lemaire commença par réunir quelques-uns de ses confrères et de ses amis : Jean Béraud, Puvis de Chavannes, Édouard Detaille, Léon Bonnat, Georges Clairin. Eux seuls eurent d’abord la permission de pénétrer dans l’atelier, de venir voir une rose prendre sur une toile, peu à peu — et si vite — les nuances pâles ou pourprées de la vie. Et quand la princesse de Galles, l’impératrice d’Allemagne, le roi de Suède, la reine des Belges venaient à Paris, elles demandaient à venir faire une visite à l’atelier, et Mme Lemaire n’osait leur en refuser l’entrée. La princesse Mathilde son amie et la princesse d’Arenberg son élève y venaient aussi de temps en temps. Mais peu à peu, on apprit que dans l’atelier avaient lieu quelquefois de petites réunions où, sans aucun préparatif, sans aucune prétention à la « soirée », chacun des invités « travaillant de son métier » et donnant de son talent, la petite fête intime avait compté des attractions que les « galas » les plus brillants ne peuvent réunir. Car Réjane, se trouvant là par hasard en même temps que Coquelin et Bartet, avait eu envie de jouer avec eux une saynète, Massenet et Saint-Saens