Aller au contenu

Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
CHRONIQUES

Par son mariage, Mlle Singer, dont la sœur avait épousé le duc Decaze, et qui vivait déjà dans un milieu très artiste et élégant, s’apparenta étroitement aux familles La Rochefoucauld, Croy, Luynes et Gontaut-Biron. La sœur du prince de Polignac avait été la première femme du duc de Doudeauville. La princesse de Polignac devenait donc la tante de la duchesse de Luynes, née La Rochefoucauld, la grand’tante de la duchesse de Luynes, née Uzès, et de la duchesse de Noailles. Par les Mailly-Nesle, le prince de Polignac était plus étroitement parent encore avec la comtesse Aymery de La Rochefoucauld et la comtesse de Kersaint. C’est dire que les séances de musique du hall de la rue Cortambert, toujours admirables au point de vue musical, où l’on entendait tantôt des exécutions parfaites de musique ancienne, telle que des représentations de Dardanus, tantôt des interprétations originales et ferventes de toutes les dernières mélodies de Fauré, de la sonate de Fauré, des danses de Brahms, étaient aussi, comme on dit dans le langage des chroniqueurs mondains, « d’une suprême élégance ». Souvent données dans la journée, ces fêtes étincelaient des mille lueurs que les rayons du soleil, à travers le prisme des vitrages, allumaient dans l’atelier, et c’était une chose charmante que de voir le prince conduire à sa place, qui était celle du bon juge et du soutien fervent, celle de la beauté-reine, la comtesse Greffulhe, splendide et rieuse. Au bras du prince alerte et courtois elle traversait l’atelier dans le sillage murmurant et charmé que son apparition éveillait derrière elle et, dès que la musique commençait, écoutait attentive, l’air à la fois impérieux et docile, ses beaux yeux fixés sur la mélodie entendue,