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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/52

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CHRONIQUES

ce n’est peut-être pas la mondanité que Renan eût trouvée la plus frivole.

« Quand une nation, dit Renan dans son discours de réception à l’Académie, aura produit ce que nous avons fait avec notre frivolité, une noblesse mieux élevée que la nôtre au xvii- siècle et au xviiie siècle, des femmes plus charmantes que celles qui ont souri à notre philosophie… une société plus sympathique et plus spirituelle que celle de nos pères, alors nous serons vaincus. »

Cette idée n’est pas accidentelle chez Renan (d’ailleurs une idée peut-elle l’être jamais ?) Dans le même discours, ailleurs, dans les Drames philosophiques, dans la Réforme intellectuelle et morale où il constate que l’Allemagne aurait fort à faire pour avoir une société comme la société française du xvii- siècle et du xviiie siècle et « des gentilshommes comme ceux de l’ancien régime », on le voit y revenir. Il y reviendra même pour y contredire, ce qui est une de ses manières favorites de reprendre une idée. Or de telles idées nous paraissent un peu singulières. Le charme des manières, la politesse et la grâce, l’esprit même, ont-ils vraiment une valeur absolue valant la peine d’être mise en ligne de compte par le penseur ? On le croit difficilement aujourd’hui. Et de telles idées perdront peu à peu pour les lecteurs de Renan le peu de sens qu’elles peuvent leur offrir encore.

Si cependant quelque jeune lecteur de Renan nous disait : « N’existe-t-il plus de ces êtres chez qui l’hérédité de la noblesse intellectuelle et morale avait fini par modeler le corps et l’avait amené à cette « noblesse physique » dont nous parlent les livres et que ne nous offre pas la vie ? Ne pourrions-nous