Aller au contenu

Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
LES SALONS. LA VIE DE PARIS

qui avait tant fréquenté son petit-fils n’avait pas pu ne pas lui en prendre un peu.

Des amitiés aussi parfaites que celle qui unissait Robert de Flers à sa grand’mère ne devraient jamais pouvoir finir. Comment ! deux êtres si entièrement correspondants que rien n’existait dans l’un qui ne trouvât dans l’autre sa raison d’être, son but, sa satisfaction, son explication, son tendre commentaire, deux êtres qui semblaient la traduction l’un de l’autre, bien que chacun d’eux fût un original, ces deux êtres n’auraient fait que se rencontrer un instant, par hasard, dans l’infini des temps, où ils ne seront plus rien l’un à l’autre, rien de plus particulier qu’ils ne sont à des milliards d’autres êtres ? Faut-il vraiment le penser ? Toutes les lettres de ce livre spirituel et passionné qu’était Mme de Rozière sont-elles devenues subitement des caractères qui ne signifient plus rien, qui ne forment plus aucun mot ? Ceux qui comme moi ont pris trop tôt l’habitude d’aimer à lire dans les livres et dans les cœurs ne pourront jamais le croire tout à fait…

Je suis sûr que depuis bien longtemps Robert et elle, sans jamais se le dire, devaient penser au jour où ils se quitteraient. Je suis sûr aussi qu’elle aurait aimé qu’il n’ait pas de chagrin… Ce sera la première satisfaction qu’il lui aura refusée…

J’ai voulu au nom des amis de Robert de Flers, — ses jeunes amis à elle — lui dire ce que je ne puis pas appeler un dernier adieu, car je sens que je lui en dirai bien d’autres, et puis, pour parler exactement, on ne dit jamais vraiment adieu aux êtres qu’on a aimés, parce qu’on ne les quitte jamais tout à fait.

Rien ne dure, pas même la mort ! Mme de Rozière