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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/88

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CHRONIQUES

les jésuites et le troisième à l’institut protestant. Il était sûr de la sorte d’avoir des appuis dans chaque parti, et ne considérait le culte différent qu’il faisait pratiquer à chacun de ses enfants que comme le moyen de leur faire donner gratuitement une excellente éducation. » Cet habitant de Césarée n’a-t-il pas l’air d’un personnage de M. Meilhac qui aurait quitté ses immatériels camarades pour aller coloniser en Asie Mineure. Le chapitre sur Erzeroum est un des plus amusants. Pendant que la police est aux trousses de M. de Cholet et de son escorte, l’armée lui prodigue les marques de son respect et défile devant lui. Il est obligé de passer une grande revue d’honneur, lui très jeune lieutenant. « À peine avons-nous fait quelques pas que nous sommes reconnus, et voilà les tambours qui battent aux champs, les soldats qui présentent leurs armes, les officiers, les drapeaux qui saluent sur notre passage, la musique qui joue et nous, pauvres lieutenants, habitués à rendre de pareils honneurs, mais non pas à les recevoir, obligés de défiler devant tout le front de régiment avec nos manteaux de voyage, la toque sur la tête et la cravache à la main, nous nous croyons dans un rêve et regardons avec étonnement les manches de nos effets pour voir si, en une seule nuit, il n’y a pas poussé par hasard quelques étoiles. »

Je voudrais résumer pour finir les quelques considérations générales que consacre à l’état actuel de l’Empire ottoman ce voyageur parti dans l’espérance de le bien étudier, et dont l’espérance, pour qui lira tout son ouvrage, ne paraîtra pas avoir été déçue.

Entre le développement des idées morales et le progrès de la science, il faut une harmonie dans un