Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/103

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dorées du jour mourant ; les rochers devenaient gris et le premier frisson de la nuit secouait le feuillage des arbres. Un vent frais ballonnait le manteau et frisait le poil des chèvres ; le chien, le nez en l’air, humait le souffle parfumé, et les genêts secouant leurs têtes jaunes ondulaient comme les vagues de la mer.

Lorsqu’on descendait plus bas, les lapins fuyaient dans les broussailles et l’ombre s’amassait autour des vieux chênes, donnant déjà à la montagne un aspect sinistre. — Mais bientôt la chaumière était là, la mère sur la porte, la cuiller à la main, et le père remontait du champ, lassé, la pioche sur l’épaule.

Où étaient-elles, Seigneur du Ciel, ces broussailles espagnoles — et la chaumière du père et le troupeau ami ? — Tout — les Romains avaient tout ravagé. Ils étaient venus, ces durs Italiens, à la tête rasée, au rire gouailleur. Ils avaient brûlé la maison et mangé le troupeau. Le père était crevé de fatigue le long de la route et la mère était morte de faim dans les broussailles de la montagne. Elle n’avait pas voulu suivre les soldats, elle avait fui avec des cris rauques de bête sauvage, échevelée, féroce, — jetant des pierres à ceux qui l’approchaient.

Eux, on les avait emmenés, pêle-mêle. Ils avaient les cheveux frisés et la peau douce, un peu brune. Alors on les soigna — on les nourrit bien. On les avait pris dans les montagnes près d’Osca. Le long de la Cinca, les soldats descendirent et traversèrent la plaine de Sourdao pour les mener à Ilerda, d’où ils étaient partis. Et puis de là, sans répit, des marchands les avaient emmenés à Tarraco, à travers les montagnes noires de Iakketa et d’Ilercao. Il y avait là de rudes étapes pour gagner la mer. Les monta-