Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/132

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n’avons plus de bougies, mais des lampes Davy, entourées d’un treillage de fer, contre lequel brûle presque tout le temps une petite flamme bleue ; croirait-on que c’est là le terrible grisou ? Dans les galeries des coups lents et sonores ébranlent les murailles, et un roulement périodique de chariots vous force à vous ranger pour laisser passer les rouleurs avec leurs wagons chargés de blocs de charbon.

Des ombres fantastiques se dressent souvent le long du mur : ce sont les piqueurs qui détachent la houille avec leur pioche ; étendus sur le dos, ils attaquent le plafond de la mine. À l’extrémité des galeries il faut presque ramper : nous commençons à étouffer et notre guide nous ramène.

Voici la benne qui va nous rendre au jour, nous tirer de cet enfer où semblent errer les pâles damnés de Michel-Ange, nous sauver de cette atmosphère explosive où à chaque pas on craint un danger, nous permettre d’être mouillés par la pluie : oui, nous aimons mieux cela que de vivre comme des taupes, à couvert, sous la terre. Elle nous remonte, cette benne libératrice, de son même mouvement doux et réglé : le pan de ciel que nous voyons au bout de notre gigantesque lunette s’élargit de plus en plus ; au fond du puits ce n’était qu’une pâle étoile — voici maintenant qu’il nous semble embrasser un grand morceau d’horizon. Puis sur le rebord du puits se penchent des figures roses et souriantes, qui nous attendent et nous fêtent au retour : ce sont les figures de gens qui vivent d’air libre et de lumière : tandis que les pauvres mineurs qui nous accompagnent vont rejoindre leurs femmes d’un pas lent, affaibli, et tournent une dernière fois vers nous des visages pâles et des traits tirés.