Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/206

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demandai s’il ne fallait pas au moins céder en partie à ses vœux. Je lui proposai donc une petite excursion au cottage que nous avions visité l’année d’avant. — “N’importe, dit-il, où vous voudrez, pourvu que ce soit loin.” Vers la fin de juin donc, nous mîmes ce dessein à exécution. En se mettant en voiture, l’ordre du jour de Kant fut : “De la distance, de la distance ! Surtout allons bien loin.” Mais à peine eûmes-nous atteint les portes de la ville que le voyage sembla avoir déjà duré trop longtemps. En arrivant au cottage nous trouvâmes le café qui nous attendait. Mais il ne voulut pas même se donner le temps de le boire avant de redemander la voiture, et le voyage de retour lui sembla insupportablement long, quoique nous n’y mîmes qu’un peu moins de vingt minutes. Il ne cessait de s’écrier : “Ce ne sera donc jamais fini ?” Et grande fut sa joie quand il se retrouva dans son cabinet de travail, déshabillé, et au lit. Et cette nuit-là il dormit en paix et fut délivré pour une fois de la persécution des rêves.

Bientôt après il commença de nouveau à parler d’excursions, de voyages dans des pays éloignés. Et en conséquence nous recommençâmes plusieurs fois notre promenade. Et quoique les circonstances fussent toujours les mêmes, qu’elles se terminassent toujours par un désappointement du plaisir immédiat qu’il avait anticipé, pourtant sans aucun doute elles furent en somme salutaires à sa santé d’esprit. En particulier le cottage lui-même abrité sous de grands ormes au pied desquels s’étendait une vallée silencieuse et solitaire où s’enlaçait un petit torrent coupé par une chute, dont la sonorité plaisait à l’oreille, donna quelquefois de vives joies à Kant par de calmes journées de soleil. Et un jour,