Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/225

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totale et la lèvre supérieure se révulsa légèrement ; ensuite il y eut une faible respiration ou un soupir, puis plus rien ; mais le pouls battit encore quelques secondes plus lentement, plus faiblement, jusqu’à ce qu’il cesse tout à fait ; le mécanisme s’arrêta ; le dernier mouvement fut interrompu ; et exactement à ce moment la pendule sonna onze heures.

Peu après sa mort, on rasa la tête de Kant, et sous la direction du professeur Knorr, on en fit un moulage en plâtre, non seulement du masque, mais de la tête entière, dans le dessein, je crois, d’enrichir la collection craniologique du docteur Gall.

Le corps ayant été disposé et habillé, une immense foule de gens de tous les rangs, du plus haut au plus bas, se pressa pour le voir. Chacun était anxieux de saisir la dernière occasion, de pouvoir se dire : “Moi aussi, j’ai vu Kant.” Ceci continua bien des jours durant lesquels, du matin au soir, la maison était encombrée de foule. Grand fut l’étonnement des gens devant la maigreur de Kant, et on s’accorda à convenir que jamais on n’avait vu corps si épuisé et si décharné. Sa tête reposait sur le coussin sur lequel jadis ces messieurs de l’Université lui avaient présenté une adresse, et je crus ne pouvoir en faire un usage plus honorable qu’en le plaçant dans le cercueil comme oreiller final pour cette tête immortelle.

Kant avait exprimé ses vœux plusieurs années auparavant dans un mémorandum spécial sur le mode de ses obsèques. Il priait qu’elles eussent lieu de bonne heure le matin, avec aussi peu de bruit et de dérangement que possible, et suivies seulement par ses amis les plus intimes. Comme j’avais trouvé ce mémorandum en rangeant ses papiers à