Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/73

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ce sont des puissants inutiles. Les choses de la vie ordinaire leur sont étrangères ; ils n’y songent même pas et roulent dans leur tête de telles idées que celle d’un homme-microscope, à faire le même travail, éclaterait en un quart d’heure. Ils rendent leurs femmes très malheureuses et sont un fléau pour leurs familles. Ils se jettent souvent à l’eau, mais peuvent devenir de grands hommes. Il en faut pour le bien de l’humanité.

Entre ces deux espèces, il y en a une troisième qui s’y adapte comme un tuyau de lorgnette. Ceux-là font semblant d’être l’un ou l’autre, quelquefois l’un et l’autre ; ils ne savent rien et arrivent à tout. C’est l’espèce la plus répandue.

J’admets que tout homme a un intérêt pour faire une chose quelconque. Il serait puéril de le nier, le fond de l’âme est l’égoïsme. Ce n’est pas du calcul, c’est de l’instinct. Les bouderies les plus insignifiantes, les joies les plus passagères ne sont pas sans motif ; et si nous ne nous en rendons pas compte, c’est que notre esprit ne vaut rien pour le déterminer.

Il est des gens qui semblent n’avoir pas d’intérêt. On les appelle bons. Le plus souvent il existe un motif caché de leur conduite ; mais si par hasard il en était autrement, ils passeraient pour des fous. Je connais tel homme bon qu’on croit pauvre d’esprit : c’est parce que c’est un homme-télescope et qui ne connaît pas la vie ordinaire. Sinon, il serait égoïste comme les autres.