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DE LA HAUTEUR

farouches anarchistes. Rien ne peut empêcher que parmi les frères humains règne l’inégalité morale dont l’autre, plus apparente, n’est que le corollaire. L’on ne saurait faire que l’estime, l’admiration, la vénération de la masse, en élisant ses favoris et ses fétiches, ne rétablisse sans cesse les déférences de condition derrière la charrue niveleuse du socialisme.

Je ne prévois pas qu’on puisse, dans le dictionnaire, supprimer les mots « malheureux, » « incapables, », « nonchalants, » « imbéciles, » « badauds », ni qu’on arrive jamais à corriger chez les enfants d’Adam les défauts que ces mots représentent et qui sont les éternels facteurs de l’élévation des uns au détriment des autres.

Cette antique tradition de la famille humaine qui la divise en groupes homogènes est donc naturelle et raisonnable. Le mieux est de l’accepter, même quand on se trouve devant les abus du système.

Si je rencontre un homme nul ou inférieur, occupant un haut emploi, je m’incline devant la dignité de sa charge tout en regrettant qu’elle soit si mal remplie, et je ne lui conteste pas la première place à laquelle son titre lui donne droit.

Quoique dans notre pays, grâce au mode gouvernemental, les opinions politiques soient la seule considération qui détermine l’accession aux charges, il y a de grandes chances pour que le mérite reçoive aussi quelque attention, car les partis récompensent d’abord ceux qui se sont distingués dans leurs rangs. Je ne nie pas que ce régime ne laisse encore une voie ouverte à l’intrigue et à la brigue.

Les familles qui s’exagèrent leur mérite personnel et tirent trop grande vanité des honneurs toujours passagers et précaires, quelles qu’en soient la cause et la raison, sont donc ridicules.

Il en est que cet orgueil mal fondé conduit à une conduite plus que ridicule quand il leur fait oublier, dédaigner peut-être, d’anciennes amitiés, des devoirs de famille et des obligations sacrées.