Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/90

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C’est qu’il faut un tact infini et les précautions d’une tendresse pieuse pour ouvrir petit à petit les intelligences enfantines aux cruelles et laides vérités de notre monde. Heureuses celles qu’une vigilance tutélaire préserve des brutales désillusions et des révélations foudroyantes.

Rien n’est comparable à l’angoisse morale d’une innocente subitement éclairée. Certaines mères sur ce chapitre ont une conduite singulière. Elles regardent leurs chères enfants cheminer avec insouciance, et le front serein sous un ciel d’orage, se disant : La foudre tout-à-coup tombera à leurs pieds et alors elles sauront…

Mais quand toutes frémissantes et éplorées elles viendront se réfugier entre vos bras, ne seront-elles pas justifiables de vous reprocher l’aveuglement dans lequel vous les entreteniez. Aussi bien, la foudre pouvait les frapper elles-mêmes en pleine joyeuse sécurité.

Il n’est pas rare qu’on entende dire : — « Le caractère de cette enfant est complètement changé. Depuis son retour de X, ma fille n’est plus la même. C’est extraordinaire ce qu’elle a vieilli depuis un an. »

Ne serait-ce pas que loin de l’égide maternelle qui l’eut garantie d’une aussi cruelle expérience, la pauvre enfant aura vu soudain son heureuse crédulité se changer en la plus amère désespérance.

N’aurait-elle pas reconnu par elle-même à la faveur de quelque scélératesse dont la société ne ménage pas les exemples, qu’une excessive confiance en l’honnêteté, en l’honneur, en l’amitié est une chose absurde et nuisible ?

Sa gravité un peu caustique n’est alors que l’effet d’un froissement intime. Elle en voudra pendant quelque temps à tout le monde, aux innocents comme aux coupables, pour cette triste découverte que le diable se cache partout : sous les traits du séduisant Adonis empressé à vous compromettre agréablement, tandis que vous subissez sans défiance le charme de son magnétis-