dre plus obeissans & promptz à executer sans peur, ne craincte toutes entreprinses, il leur faisoit, ou à aucuns d'eulx quand bon luy sembloit, bailler certain breuvaige à boire, par le moyen duquel ilz estoient incontinent troublez de leur esperit, & venoient à dormir profondement, ce pendant il les faisoit transporter en ce beau jardin de plaisance, ouquel apres leur repoz finy qu'ilz se reveilloient, se voyans en si grans delices & plaisirs, se estimoient estre ravyz & transmis en paradis, vivre avec Mahumet leur legislateur, & joyr plainement des joyes qu'il leur à promises en sa loy. Que diray-je plus ? Ilz estoient merveilleusement ayses d'estre hors des miseres du monde, & desja gouster les plaisirs de l'autre vie eternellement heureuse. Mais apres y avoir esté quelque peu de temps, ce vieillard leur faisoit de rechef bailler de ce breuvaige pour les hebeter de leur sens & endormir, puis les faisoit mettre hors de ce paradis. Alors eulx retournans à leur bons sens, & ayans souvenance des grandes joyes & plaisirs dont ilz avoient par cy peu de temps jouy, estoient merveilleusement contristez & faschez, qu'il ne leur avoit esté loisible d'en user à jamais, & soubzhaittoient la mort, à laquelle voluntairement se presentoient, affin de vivre à tousjours en ces delices que par cy peu de temps ilz avoient esprouvées. Et lors ce vieillard tyran (qui leur faisoit croire qu'il estoit prophete de Dieu) leur disoit : Oyez moy mes enfans, & ne vous contristez, si vous estes prestz & appareillez de souffrir la mort pour moy en obeyssant à mon com-
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