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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/215

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mes paupières ne me permit pas de m’assurer si cette scène dramatique était fille du rêve ou de la réalité, et, bercé par les coups de poing des lutteurs et les gémissements de la femme inconnue, je ne tardai pas à tomber dans un engourdissement qui, s’il n’était pas le sommeil, en avait du moins toute l’apparence.

Quand je me réveillai, il faisait grand jour. J’aperçus nos deux mules déjà sellées et le mozo en train de se repaître. L’acte naturel qu’il accomplissait me rendit tout à coup au sentiment de la situation, et je sentis la faim rugir dans mes entrailles ; je voulus me lever pour prendre part à ce repas, mais mes jambes et mes bras me refusèrent leur office ; pas une jointure ne pliait ; mon corps était roidi par le froid de la nuit, et je me sentais rouillé dans mes habits comme un couteau dans sa gaine. Effrayé de cet état anormal, j’appelai aussitôt le mozo à mon aide ; il s’empressa d’accourir, et, quand je lui eus fait part de ce que j’éprouvais, il glissa délicatement ses mains sous mes aisselles, me releva tout d’une pièce, comme Pierrot relève Arlequin, et me posa contre la muraille, le visage tourné vers le soleil levant. Au bout de quelques minutes, j’éprouvai la bienfaisante influence de ses rayons ; la vie revenait avec la chaleur, et je ne tardai pas à dégeler. Ma première parole, en recouvrant l’usage de mes membres, fut de demander à manger. Le