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LE MARI PASSEPORT

que toutes les autres. Elles se réunissent en demi-cercle devant moi, et échangent des propos qui en d’autres temps m’amuseraient :

— Comme elle a de petits yeux !

— Et ses mains, qu’elles sont minuscules !

— Quelle étrange peau blanche !

— A-t-elle le cœur musulman ?

D’autres curieuses se sont jointes maintenant au cercle qui m’entoure et incitent les femmes du sous-gouverneur à douter de mon cœur. Mais le sujet de la curiosité qu’on me porte change. Ce qui les intéresse c’est de savoir si je suis faite comme elles dans tous les détails de mon corps…

Elles s’approchent en souriant et me palpent avec une simplicité lascive, si minutieuse que, dégoûtée et furieuse, je les repousse vivement. Plus tard, devant l’insistante curiosité de l’une d’elles, la voisine Selma, je lui casse même le poignet en me défendant, ce qui fait toute une affaire, car le genre d’indiscrétion qui m’a fait réagir ne peut être avoué aux hommes.

La journée s’achève lentement. Sett Kébir, à qui je dis ma lassitude et mon besoin de dormir, m’indique noblement le sol, comme une châtelaine qui vous mènerait dans la belle chambre d’amis…

Je regarde mélancoliquement ce tapis mince et usé. Les esclaves portent quelques couvertures. Dans cette même pièce, plusieurs autres femmes vont dormir aussi. Je m’allonge enfin, exténuée. D’autres en font autant, mais il en est qui se réunissent dans un angle. À la lumière d’une lanterne elles vont bavarder toute la nuit. À deux heures du matin, comme le fait tout l’Islam, Sett Kébir se lève et fait ses prières et ses ablutions.

Moi, je ne bouge pas, mon désarroi est trop grand.