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LE MARI PASSEPORT

les coins, des yeux brillent, les rats, des insectes hallucinants jaillissent entre le mur et les planches mal jointes. Bientôt j’écrase sur mon voile et ma robe les milliers de punaises qui courent et se cachent parmi les plis… Des araignées, grosses comme des crabes, s’accrochent avec leurs pinces sur ma chair…

Un vent fade, malsain, souffle avec violence à travers le plancher. Une indicible terreur m’étreint J’ai peur. Il y a des degrés dans la peur comme dans toute chose. Mais, à cette heure, elle est en moi à son plus haut degré. Elle me saisit avec son cortège de frissons, d’épouvantes monstrueuses, de paralysie, de sensations absurdes et de volonté chancelante. Une sueur froide m’inonde. Je veux crier, ma voix s’arrête dans ma gorge, je n’ai plus de salive, plus de sang, mon corps se raidit. Je me sens devenir folle, tandis que les cafards me font une guerre sans merci, par terre et dans l’air. Non contents de me frapper au visage, ils grimpent le long de mes jambes et des puces énormes me dévorent sous mes vêtements.

La nuit se passe ainsi. Debout, tantôt sur une jambe, tantôt sur l’autre, je touche aux confins de l’angoisse et de l’horreur. Je ferme les yeux pour ne plus rien voir. Les soldats chantent des airs lugubres et monotones qui entretiennent mon agonie. Deux fois ma porte cède sous la pression des prisonniers dont j’ai pris la place, une tête hirsute tombe à même sur le plancher avec fracas ; peu après, c’est la tête crépue d’un grand nègre. La cordelette avait cédé, mais un gardien la rattache. Après avoir été saisie par l’apparition de ces crânes sauvages et inattendus, cet instant d’interruption dans ma solitude est un bonheur.