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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/139

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DE MARGUERITE DE VALOIS.

de me conduire plus loing, prend congé de moy avec aultant de regrets que de protestations d’estre à jamais serviteur de mon frere et de moy.

La fortune envieuse et traistre ne pouvant supporter la gloire d’une si heureuse fortune qui m’avoit accompaignée jusques-là en ce voiage, me donne deux sinistres augures des traverses, que, pour contenter son envie, elle me preparoit à mon retour : dont le premier fust que, soudain que le batteau commença à s’esloingner du bord, madamoiselle de Tournon, fille de madame de Tournon, ma dame d’honneur, damoiselle tres-vertueuse, et accompagnée des grâces que j’aymois fort, prend un mal si estrange, que tout soudain il la met aux haults cris pour la violente douleur qu’elle ressentoit, qui provenoit d’un serrement de cœur, qui fust tel, que les médecins n’eurent jamais moien d’empescher que, peu de jours après que je fus arrivée à Liege, la mort ne la ravist. J’en diray la funeste histoire en son lieu, pour estre remarquable. L’aultre est, qu’arrivant à Huy, ville située sur le pendant d’une montaigne, dont les plus bas logis mouilloient le pied dansl’eaue, il s’esmeut un torrent si impetueux, descendant des ravages d’eaues de la montaigne en la riviere, que la grossissant tout d’un coup, comme nostre batteau abordoit, nous n’eusmes presque loisir de sauter à terre, et courants tant que nous peusmes pour gaingner le hault de la montaigne, que la riviere ne fust aussytost que nous à la plus haute rue, aupres de mon logis qui estoit le plus hault ; où il nous fallut contenter ce soir là de ce que le maistre de la maison pouvoit