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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/145

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DE MARGUERITE DE VALOIS.

milieu de la rue qui alloit à la grande eglise, le marquis de Varembon, coupable de ce triste accident, quelques jours apres mon partement de Namur, s’estant repenty de sa cruauté, et son ancienne flame s’estant de nouveau rallumée (ô estrange faict !) par l’absence, qui, par la presence, n’avoit peu estre esmeue, se resoult de la venir demander à sa mere ; se confiant, que je crois, en la bonne fortune qui l’accompaigne d’estre aymé de toutes celles qu’il recherche, comme il a paru depuis peu en une grande[1], qu’il a espousée contre la volonté de ses parents ; et se promettant que sa faute luy seroit aisément pardonnée de sa maistresse, repetant souvent ces mots italiens en soy-mesme : Che la forza d’amore non risguarda al delitto, prie dom Juan luy donner une commission vers moy, et venant en diligence, arrive justement sur le poinct que ce corps, aussi malheureux qu’innocent et glorieux en sa virginité, estoit au milieu de cette rue. La presse de cette pompe l’empesche de passer. Il regarde que c’est. Il advise de loin, au milieu d’une grande et triste trouppe de personnes en deuil, drap blanc couvert de chappeaux de fleurs. Il demande que c’est : quelqu’un de la ville luy respond que c’estoit un enterrement. Luy, trop curieux, s’advance jusques aux premiers du convoy, et importunement les presse du luy dire de qui c’est. O mortelle response ! L’amour, ainsi vengeur de l’ingrate inconstance, veut faire esprouver à son ame, ce que par son desdaigneux oubly il a faict souffrir au corps de

  1. Dorothée, fille de François, duc de Lorraine, veuve d’Éric, duc de Brunswick, mort sans enfans en 1584.