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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/151

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DE MARGUERITE DE VALOIS.

entierement faulse ; car estant arrivée à La Fere, je voulus voir le compte, et se trouva de l’argent, que l’on avoit pris pour faire le voiage, de reste encore pour faire aller ma maison plus de six sepmaines), et faict que l’on retint mes chevaux, me faisant avec le danger cet affront public. Madame la princesse de La Roche-sur-Yon, ne pouvant supporter cette indignité, et voyant le hazard où l’on me mettoit, preste l’argent qui estoit necessaire ; et eux demeurans confus, je passe, apres avoir faict present à monsieur l’evesque de Liege d’un diamant de trois mille escus, et à tous ses serviteurs de chaisnes d’or ou de bagues, et vins coucher à Huy, n’ayant pour passeport que l’esperance que j’avois en Dieu.

Cette ville estoit, comme j’ay dict, des terres de l’evesque de Liege, mais toutesfois, tumultueuse et mutine (comme tous ces peuples-là se sentoient de la revolte generale des Pays-Bas), ne recognoissoit plus son evesque, à cause qu’il vivoit neutre, et elle tenoit le party des Estats. De sorte que, sans recognoistre le grand maistre de l’evesque de Liege, qui estoit avec moi, ayans l’allarme que dom Juan s’estoit saisy du chasteau de Namur sur mon passage, soudain que nous fusmes logez, ils commencent à sonner le tocsin et traisner l’artillerie par les rues, et la bracquer contre mon logis ; tendans les chaisnes, afin que nous ne pussions joindre ensemble, nous tenant toute la nuict en ces alteres, sans avoir moyen de parler à aulcun d’eulx, estant tout petit peuple, gens brutaulx et sans raison. Le matin ils nous laisserent sortir, ayants bordé toute