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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/37

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[1559]
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DE MARGUERITE DE VALOIS.

N’ayant lors qu’environ quatre ou cinq ans[1], et me tenant sur ses genoux pour me faire causer, il me dit que je choisisse celuy que je voulois pour mon serviteur, de monsieur le prince de Joinville, qui a depuis esté ce grand et infortuné duc de Guise, ou du marquis de Beaupreau[2], fils du prince de La Roche-sur-Yon (en l’esprit duquel la nature, pour avoir fait trop d’effort de son excellence, excita l’envie de la fortune jusques à luy estre mortelle ennemye, le privant par la mort, en son an quatorziesme, des honneurs et couronnes qui estoient justement promises à la vertu et magnanimité qui reluisoient à son aspect), tous deux aagez de six à sept ans, se jouants auprès du Roy mon père, moy les regardant. Je luy dis que je voulois le marquis. Il me dit : « Pourquoi ? Il n’est pas si beau » (car le prince de Joinville estoit blond et blanc, et le marquis de Beaupreau avoit le teint et les cheveux bruns). Je lui dis : « Pource qu’il estoit plus sage, et que l’autre ne peut durer en patience qu’il ne fasse tousjours mal à quelqu’un, et veut tousjours estre le maistre. » Augure certain de ce que nous avons veu depuis.

  1. Marguerite avait alors sept ans accomplis et non pas cinq ans, comme elle le dit ; l'auteur des Anecdotes des Reines et Régentes de France a cru devoir expliquer cette inexactitude : « Il est naturel, dit-il , à une belle femme qui parle d’elle , même à un certain âge , de se donner quelques années de moins : cela échappe à l’amour-propre sans qu’il s’en aperçoive. » (Dreux du Radier, Anecdotes des Reines et Régentes de France, t. V, p. 216, à la note.)
  2. Henri de Bourbon, mort en 1560, était fils de Charles de Bourbon, prince de La Roche-sur-Yon. Sa mère, qui était amie de Marguerite, l’accompagna, comme on le verra ci-après, dans son voyage aux eaux de Spa.