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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

m’ont point trouué faſcheux, diſt Saffredent, ne changeroient pas leur honeſteté à la voſtre : mais n’en parlons plus, à fin que ma colere ne face deſplaiſir ny à moy ny à autre. Regardons à qui Dagoucin donnera ſa voix : lequel diſt, ie la donne à Parlamente. Car ie penſe qu’elle doit ſçauoir plus que nul autre que c’eſt que d’honneſte & parfaicte amitié. Puis que ie ſuis choiſie, diſt Parlamente, pour dire vne hiſtoire, ie vous en diray vne aduenuë à vne dame, qui a eſté touſiours biẽ fort de mes amies, & de laquelle la penſée ne me fut iamais celée.


Vn Capitaine de galeres, ſoubs ombre de deuotion, deuint amoureux d’vne damoiſelle, & ce qui en aduint.


NOVVELLE TREZIESME.



En la maiſon de Madame la Regente, mere du Roy François, y auoit vne dame fort deuote, mariée à vn gentilhomme de pareille volonté. Et combien que ſon mary fuſt vieil & elle belle & ieune, ſi eſt-ce qu’elle le ſeruoit & aimoit comme le plus beau ieune homme du monde. Et pour luy oſter toute occaſion d’ennuy, ſe meit à viure comme vne femme de l’aage dont il eſtoit, fuyant toutes compaignies, accouſtremens, dances, & ieux, que les ieunes femmes ont accouſtumé d’aymer, mettant tout ſon plaiſir & recreation au ſeruice de Dieu. Parquoy le mary meiſt en elle vne ſi grande amour & ſeureté, qu’elle gouuernoit ſa maiſon & luy, comme elle vouloit. Et aduint vn iour que le gentilhomme luy diſt, que des ſa ieuneſſe il auoit eu deſir de faire le voyage de Ieruſalem, luy demandant ce qu’il luy en ſembloit. Elle qui ne demandoit qu’à luy complaire, luy diſt : Mon amy, puis que Dieu nous a priué d’enfans, & donné aſſez de biens, ie vouldrois que nous en miſſions vne partie à faire ce ſainct voyage : car là ny ailleurs ou vous alliez, ie ne ſuis pas deliberée de vous laiſſer, ne abandonner iamais. Le bon homme en fut ſi aiſe, qu’il ſembloit deſia eſtre ſur le mont de Caluaire. Et en ceſte deliberation vint à la court vn gentilhomme, qui ſouuent auoit eſté à la guerre ſur