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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/170

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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES.

d'arbres ployez, qui eftoit vn lieu tant beau & plaiſant qu'il n'eftoit poſsible de plus, entra ſoudainement dedans, com- me celuy à qui tardoit de veoir ce qu'il aimoit. Mais il trou- ua à ſon entrée la damoiſelle couchée fur l'herbe, entre les bras d'vn pallefrenier de fa maiſon, auſsi laid, ord, & infame, que le gentilhomme eftoit beau, honnefte,& amiable. Ie n'en- treprends pas de vous depeindre le defpit qu'il eut : mais il fut fi grand, qu'il eut puiſſance d'efteindre en vn moment le feu fi embraſé de long temps. Et autant remply de defpit qu'il a uoit eſté d'amour, duy dift: Ma dame, prou vous face: auiour- d'huy par voftre mefchanceté cogneuë, fuis guary & deliuré de ma continuelle douleur, dont l'honnefteté que i'eftimois en vous eftoit occaſion. Et fans autre à Dieu fen retourna plus vifte qu'il n'eftoit venu. La pauure femme ne luy feit autre refponfe, ſinon de mettre la main deuant ſon viſage: car puis qu'elle ne pouuoit couurir fa honte, elle couuroit ſes yeux pour ne veoir celuy qui la voyoit trop clairement, nonobſtant fa longue diſsimulation. Parquoy, mes dames, ie vous ſupplie,fi n'auez vouloir d'ai- mer parfaitement, ne penſez pas diſsimuler à vn homme de bien, & luy faire defplaifir pour voftre gloire: car les hypocrites font payez de leur loyer,& Dieu fauorife ceulx qui aiment par- faictement. Vrayement, dift Oifille, vous nous l'auez gardée bōne à la fin de la iournée.Et fi n'eftoit que nous auons iuré de dire la verité,ie ne fçaurois croire qu'vne femme de l'eftat dot elle eftoit,fceuft eftre fi mefchante de laiſſer vn fi honnefte gen tilhomme pour vn fi vilain mulletier. Helas! ma dame, fi vous fçauiez,dift Hircan,la difference qu'il y a d'vn gétilhomme,qui a toute la vie porté le harnois & fuiuy la guerre, au pris d'vn varlet fans bouger d'vn lieu bien nourry,vous excuſeriez ceſte pauure vefue. Ie ne croy pas Hircan,dift Oifille, quelque choſe que vous en dietes, que vous puissiez receuoir nulle excuſe d'elle, l'ay bien ouy dire, dift Simontault, qu'il y a des femmes qui veulent auoir des Euangeliftes,pour prefcher leur vertu & leur chaſteté, & leur font la meilleure chere qu'il leur eſt pofsi- ble, & la plus priuée, les affeurans que fi la conſcience & l'hon- neur ne les retenoient, elles leur accorderoient leurs defirs. Et les pauures ſots,quand en compaignie ils parlent d'elles,iurent qu'ils