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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/202

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

Sans faulte, monſieur, ie penſe que ce ſoit vn des grands pechez qui ſe facent en mariage, & ne fuſt que l’exemple de la benoiſte vierge Marie, qui ne voulut entrer au temple, iuſques apres le iour de la purification, combien qu’elle n’en euſt beſoing. Ainfi ne deuriez vous iamais faillir de vous abſtenir d’vn petit plaiſir, veu que la bonne vierge Marie ſ’abſtenoit, pour obeïr à la loy, d’aller au temple, ou eſtoit toute ſa conſolation. Et oultre ce, les docteurs en medecine dient, qu’il y a grand danger pour la lignée qui en peut venir. Quand le gentil-homme entendit ces parolles, il en fut bien faſché : car il eſperoit bien que ſon beau pere luy donneroit congé, mais il n’en parla plus auant. Le beau pere durant ces propos, apres auoir beu quelque peu d’auantage qu’il n’eſtoit beſoing, regardant la damoiſelle, regarda auſsi & penſa bien en ſoymeſme, que ſ’il eſtoit le mary d’elle ne demanderoit conſeil à perſonne quelconque de coucher auec ſa femme. Et ainſi que le feu peu à peu ſ’allume, tellement qu’il vient à embraſer toute la maiſon, ainſi ce pauure frater commença à bruſler par telle concupiſcence, que ſoudainement deliberà de venir à fin du deſir que plus de trois ans durans auoit porté couuert en ſon cueur. Et apres que les tables furent leuées, print le gentil-homme par la main, & le menant aupres du lict de ſa femme, luy diſt deuant elle : Monſieur, pource que ie cognois l’amitié, qui eſt entre vous & ma damoiſelle, laquelle, auec la grande ieuneſſe qui eſt en vous, vous tourmente ſi fort, ſans faulte, i’en ay grande compaſsion. Et pource vous diray vn ſecret de noſtre ſaincte Theologie : c’eſt, que la loy (qui pour les abuz des mariz indiſcrets eſt ſi rigoureuſe) ne veult permettre que ceux qui font de bonne conſcience comme vous, ſoient fruſtrez de l’intelligence. Parquoy, monſieur, ie vous ay dict deuant les gens l’ordonnance de la ſeuerité de la loy : mais à vous, qui eſtes homme ſage, ne doibs celer la doulceur. Sçachez, mon fils, qu’il y a femmes & femmes, auſsi hommes & hommes. Premierement vous fault ſçauoir de ma damoiſelle que voicy, veu qu’il y a trois ſepmaines qu’elle eſt accouchée, ſi elle eſt hors du flux de ſang : à quoy reſpondit la damoiſelle, que certainemẽt elle eſtoit toute nette. Et adonc diſt le Cordelier : Mon fils, ie vous donne cõgé d’y coucher ſans aucun ſcrupule, mais que vous promettiez deux choſes : ce que

le gentil-