NOVVELLE QVARANTETROISIESME.
n vn tresbeau chaſteau demeuroit vne
grãde princeſſe & de grande authorité, qui
auoit en ſa cõpagnie vne damoiſelle, nommée
Camille, fort audacieuſe, de laquelle la
maiſtreſſe eſtoit ſi fort abuſée, qu’elle ne
faiſoit rien que par ſon conſeil, l’eſtimant
la plus ſage & vertueuſe damoiſelle, qui
fuſt de ſon temps. Ceſte Camille reprenoit tant la folle amour,
que quand elle voyoit quelque gentil-homme, amoureux de
l’vne de ſes compaignes, elle les en tançoit fort aigremẽt, & en
faiſoit ſi mauuais rapport à ſa maiſtreſſe, que ſouuent elle les
en blamoit, dont elle eſtoit beaucoup plus crainte que aimée
de toute la compagnie. Et quant à elle, iamais ne parloit à homme,
ſinon que tout hault & auec vne grande audace, tellement
qu’elle auoit le bruit d’eſtre ennemie mortelle de toute amour,
combien qu’elle eſtoit contraire à ſon cueur : car il y auoit vn
gẽtil-homme au ſeruice de ſa maiſtreſſe, duquel elle eſtoit ſi fort
prinſe, qu’elle n’en pouuoit plus. Si eſt-ce que l’amour, qu’elle auoit
à ſa gloire & reputation, luy faiſoit du tout diſsimuler ſon
affection. Mais apres auoir porté ceſte paſsion bien vn an, ne
ſe voulant ſoulager (comme les autres) par le regard & la parole,
bruſloit ſi fort en ſon cueur, qu’elle vint chercher le dernier
remede, & pour cõcluſion, aduiſa qu’il valloit mieux ſatisfaire à
ſon deſir, & qu’il n’euſt que Dieu ſeul qui cogneuſt ſon cueur,
que le dire à vn homme, qui le peult reueler quelque fois.
Apres ceſte concluſion prinſe, vn iour qu’elle eſtoit en la chambre de ſa maiſtreſſe, regardant ſur vne terrace veid promener
celuy qu’elle aimoit tant. Et apres l’auoir regardé ſi longuement,
que le iour qui ſe couchoit en emportoit la veuë auecques
foy, elle appella vn petit page qu’elle auoit, & en luy monſtrant
le gentil-homme, luy diſt : Voyez vous bien ceſtuy-lá, qui
a ce pourpoint de ſatin cramoiſi, & la robe fourrée de loups ſeruiers ?
Allez luy dire, qu’il y a quelqu’vn de ſes amis qui veult