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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

lict, diſant à la dame : quelle occaſion vous amene, ma dame, de venir viſiter celuy qui a deſia le pied en la foſſe, & de la mort duquel vous eſtes la cauſe ? Comment, ce diſt la dame, ſeroit il bien poſsible, que celuy que nous aimons tant, peuſt receuoir la mort par noſtre faulte ? Ie vous prie dictes moy pour quelle raiſon vous tenez ces propos. Ma dame, diſt il, combien que tãt qu’il m’a eſté poſsible, i’ay diſsimulé l’amour que ie porte à ma damoiſelle voſtre fille, ſi eſt-ce que mes parens parlans du mariage d’elle & de moy ont plus parlé que ie ne voulois, veu le malheur qui m’eſt aduenu d’en perdre l’eſperance, non pour mon plaiſir particulier, mais pource que ie ſçay qu’auec nul autre ne ſera ſi bien traictée, ne tant aimée qu’elle euſt eſté auec moy. Le bien que ie veois qu’elle perd du meilleur & plus affectionné ſeruiteur & amy qu’elle ait en ce monde, me faict plus de mal que la perte de ma vie, que pour elle ſeule ie voulois cõſeruer : toutesfois puis qu’elle ne luy peut de riẽ ſeruir, ce m’eſt grãd gaing de la perdre. La mere & la fille oyãs ces propos, meirent peine de le recõforter. Et luy diſt la mere : Prenez courage mon amy, & ie vous promets ma foy, que ſi Dieu vous donne ſanté, iamais ma fille n’aura autre mary que vous : & voyla-cy preſente, à laquelle ie commãde de vous en faire la promeſſe. La fille en pleurant meit peine de luy donner ſeureté de ce que ſa mere luy promettoit. Mais luy cognoiſſant, que quand il auroit ſanté il n’auroit pas ſ’amie, & que les bons propos qu’elle tenoit, n’eſtoit que pour eſſayer à le faire vn peu reuenir, leur diſt : que ſi ce lãgage luy euſt eſté tenu, il y a trois mois qu’il euſt eſté le plus ſain, & le plus heureux gentil-hõme de France, mais que le ſecours luy venoit ſi tard qu’il ne pouuoit plus eſtre creu ny eſperé. Et quand il veit qu’elles s’efforcerent de le faire croire, il leur diſt. Or puis que ie vois que vous me promettez le bien qui iamais ne me peut aduenir, encores que le vouſiſsiez, pour la foibleſſe ou ie ſuis, ie vous en demande vn beaucoup moindre que iamais ie n’eu la hardieſſe de requerir. A l’heure toutes deux luy iurerent, & qu’il le demandaſt hardiment. Ie vous ſupplie, diſt il, que me donnez entre mes bras, celle que vous me promettez pour femme, & luy commandez qu’elle m’embraſſe & baiſe. La fille qui n’auoit accouſtumé telles priuautez en cuida faire difficulté, mais la mere luy commãda ex-