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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

importunée, & toutesfois femme de bien, victoirieuſe de ſon cueur de ſon corps & de ſon amy, aduouriez vous que la choſe veritable ſeroit impoſsible ? Vrayement, diſt il, ouy. Lors, diſt Parlamente, vous ſerez tous de dure foy, ſi vous ne croyez ceſt exemple. Dagoucin luy diſt : Madame, puis que ie prouue par exẽple l’amour vertueuſe d’vn gentil-hõme iuſques à la mort, ie vous ſupplie ſi en ſçauez quelqu’vne autre à l’hõneur de quelque dame, que vous la vueillez reciter, pour la fin de ceſte iournée, & ne faignez point à parler longuement en parolles : car il y a encores aſſez long tẽps pour dire beaucoup de bonnes choſes. Puis que le dernier reſte m’eſt donné, diſt Parlamente, ie ne vous tiendray longuement en parolles : car mon hiſtoire eſt ſi bonne, & ſi belle, & ſi veritable, qu’il me tarde que vous ne la ſçachiez comme moy. Et combien que ie ne l’aye veuë, ſi m’a elle eſté racomptée par vn de mes plus grands & entiers amis, à la louange & honneur de celuy du monde qu’il auoit le plus aimé, & me coniura que ſi iamais ie venois à la racompter, ie vouſiſſe changer les noms des perſonnes, parquoy tout cela eſt veritable, hors mis les noms, les lieux, & le païs.


Amours d’Amadour & Florinde, ou ſont contenues maintes ruſes & diſsimulations, auec la treſlouable chaſteté de Florinde.


NOVVELLE DIXIESME.



En la comté d’Arande en Arragon, y auoit vne dame qui en ſa grande ieuneſſe demeura vefue du Comte d’Arande auec vn fils & vne fille, laquelle ſe nommoit Florinde. Ladite dame meit peine de nourrir ſes enfans en toutes vertuz & honeſtetez qu’il appartient à ſeigneurs & gentils-hommes : en ſorte que ſa maiſon eut le bruit d’eſtre l’vne des plus honorables qui fuſt en toutes les Eſpaignes. Elle alloit ſouuẽt à Tollette ou ſe tenoit le Roy d’Eſpaigne : & quãd elle venoit à Sarragoſſe (qui eſtoit pres de ſa maiſon) demeuroit longuemẽt auec la Royne, & en la court, ou elle eſtoit autant eſtimée que dame qui pourroit eſtre. Vne fois allant vers le Roy (ſelon ſa couſtu-


me)