Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
DE MARGUERITE DE NAVARRE

bonté, équité & conditions, à celuy duquel il est vicaire sur la terre.

Parquoy, comme Dieu permet son Soleil estre commun à tous & sa pluye estre commune aux justes & injustes ensemble, pour que les maulvais, provoqués par ses bienfaicts, s’amendent & les bons en soient excités à luy rendre grâces & louenges, ainsi nous fault tous efforcer, mesmement les Princes, que nul nous passe de toute miséricorde & charité, ains nous devons faire trèsabondamment plaisir & bien à nos amis & ennemis, aux congnus & incongnus, aux bons & maulvais.

Or, adjouxteoient les malings une aultre chose en quoy ils disoient Marguerite n’estre sans coulpe ; c’est qu’elle en havoit quelques uns, comme spècials & choisis entre tous ceuls de sa Maison, auxquels elle favoriseoit particulièrement &, telle qu’elle pouvoit estre, s’emploieoit à les advancer & enrichir tant en honneurs qu’en biens. Certes, je ne fay doubte que la bénévolence, grâce & faveur de la Royne ne leur ayt fait porter envie à maintes personnes, qui toutefois n’ont peu ne renverser, ne obscurcir la vertu qui leur avoit gaigné & acquis ceste grande faveur.

Quand Marguerite oyoit le bruit de ces murmurateurs, elle ne faisoit aultre response que celle d’Artaxerse, Roy des Persiens, qui, estant un jour reprins de mesme chose par un de ses Domestiques, luy dist : « Tous les membres du corps sont nobles, mais les uns sont plus nobles que les aultres, d’aultant que l’Ame, qui guidde & régente le corps, en use & s’en sert comme d’instruments idoines à ce à quoy les veult employer ». Le sage Roy vouloit par ceste responce donner à entendre que tous ceuls qui sont au service d’un Prince sont esgauls quand au tiltre