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DE MARGUERITE DE NAVARRE

Puisqu’ainsi est, pourquoy pleures tu la mort de Marguerite ? Tu cuiddes par aventure ce corps mort, que tu veois mis à la reverse dans ce sépulchre, estre Marguerite, mais il n’est pas ainsi. Car, comme dit le divin Platon, combien que nous disons l’Homme estre composé du Corps & de l’Ame, si est ce que sa milleure & plus noble partie c’est l’Ame, participante de la raison & de l’immortalité divine. Elle, estant enfermée au Corps comme en une prison, ne demande rien plus sinon que quelcun luy oste le couvercle de son tumbeau affin qu’elle s’en voile à son domicile, qui est le Ciel. Et par ainsi ceste masse de chair que tu veois sans âme, ce n’est Marguerite ; car Marguerite estoit invisible, ainsi que l’esprit de sa nature ne se peut veoir. Quand donc tu veois son corps, tu veois bien le sépulchre de Marguerite vuidde ; tu veois l’apparence que Marguerite y a esté ; tu y veois la dépouille de Marguerite, je dy son corps, duquel elle a esté en ce Monde enveloppée. Car nostre corps, comme le Tyrien dit, n’est qu’un gros, vil & usé manteau que Marguerite a despouillé, estant invitée à ce banquet nuptial que le Seigneur doibt là hault faire aux siens, affin de vestir la robbe nuptiale de laquelle quiconques ne se reparera, sera chassé de ce banquet & envoié aux profondes ténèbres.

Que si nous n’havons aulcun aultre remedde contre la douleur que la mort de Marguerite nous peut causer, toutefois si nous doibt cela appaiser qu’ores qu’elle soit morte de corps, toutefois elle veit encor aujourd’huy en sa fille Jheanne, Princesse de Navarre & Duchesse de Vendosmois, qui si bien nous représente la vive image de sa mère que, s’il fault adjouxter quelque foy à la renaissance des Pythagoriens, nous devrons dire l’esprit de la mère estre