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DE L’HEPTAMÉRON

« Vray est que tel présent ne vous sera point nouveau, & ne ferez que le recognoistre par hérédité maternelle. Toutes fois je m’asseure que le recevrez de bon œil pour le veoir, par ceste seconde impression, remis en son premier estat, car, à ce que j’ai peu entendre, la première vous déplaisoit. Non que celuy qui y avoit mis la main ne fust homme docte, qu’il n’y ait prins peine, & si est aisé à croire qu’il ne l’a voulu desguiser ainsi sans quelque occasion ; néantmoins son travail s’est trouvé peu agréable.

« Je le vous présente donc, Madame, non pour part que j’y prétende, ains seulement comme l’ayant démasqué pour le vous rendre en son naturel. C’est à Vostre Royale Grandeur à le favoriser puisqu’il est sorty de vostre Maison illustre ; aussi en a-t-il la marque sur le front, qui luy servira de sauf-conduit par tout le monde & le rendra bien venu ès bonnes compagnies.

« Quant à moy, recognoissant l’honneur que me ferez en recevant de ma main ce labeur de l’avoir remis à son poinct, je me sentiray perpétuellement obligé à vous faire très humble service. »


En 1558, Pierre Boaistuau, surnommé Launay, avait publié la première édition des Nouvelles de la Reine de Navarre ; il la dédia à Marguerite de Bourbon, nièce de cette Princesse. Boaistuau ne respecta pas l’œuvre originale. Non seulement il changea l’ordre des récits, mais encore il déguisa plusieurs noms propres & supprima les passages qui lui parurent trop hardis. Il corrigea aussi le style, auquel il donna plus de correction peut-être, mais ce fut aux dépens de la grâce & de la naïveté.

Boaistuau publia son travail sous le titre de : Histoires des Amans fortunez. En ne respectant pas l’ordre donné aux différens récits, il changea complètement le caractère de l’Heptaméron. Chaque Journée était consacrée au récit de certaines aventures, qui faisaient connaître soit l’emportement des femmes en amour, soit la ruse des hommes, ou bien encore les vertus & les vices de quelque classe de la société. Chaque histoire venait à l’appui de celle qui précédait, ou bien avait pour but de la réfuter. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les prologues & les épilogues. Boaistuau fut obligé de changer & même de supprimer la plupart de ces prologues, entreprise maladroite, qui mécontenta, non sans motifs, Jeanne d’Albret, fille de la Reine de Navarre.

C’est pourquoi Claude Gruget s’empressa de publier , dès l’année suivante, une autre édition du Recueil de Nouvelles composé par Marguerite. Il les replaça dans l’ordre qu’elles devaient avoir, rétablit les prologues & épilogues supprimés, & donna au Recueil le titre d’Heptaméron, en ayant soin d’ajouter : Remis en son vray ordre, confus auparavant en sa première impression. Mais là s’est arrêté le travail de ce deuxième éditeur ; il n’osa pas rétablir les noms propres & les passages renfermant soit des opinions hardies