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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/272

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Ire JOURNÉE

Après que l’homicide fut faict & que les deux serviteurs du trespassé s’en furent fouyz pour en dire les nouvelles au pauvre père, pensant le dict Sainct-Aignan que la chose ne povoyt estre tenue secrette, regarda que les serviteurs du mort ne debvoient poinct estre creuz en tesmoignage & que nul en sa maison n’avoit veu le faict, sinon les meurdriers, une vieille Chamberière & une jeune fille de quinze ans. Voulut secrètement prendre la vieille, mais elle trouva façon d’eschapper hors de ses mains & s’en alla en franchise aux Jacobins, qui fut le plus seur tesmoing que l’on eut de ce meurtre. La jeune Chamberière demeura quelques jours en sa maison, mais il trouva façon de la faire suborner par un des meurdriers, & la mena à Paris au lieu publicq affin qu’elle ne fust plus creue en tesmoignaige. Et, pour celler son meurdre, feit brusler le corps du pauvre trespassé. Les os, qui ne furent consommez par le feu, les feict mectre dans du mortier là où il faisoit bastir en sa maison, & envoia à la Court en dilligence demander sa grâce, donnant à entendre qu’il avoyt plusieurs fois deffendu sa maison à ung personnaige dont il avoyt suspition qu’i pourchassoyt le deshonneur de sa femme, lequel, nonobstant sa defense, estoit venu de nuict en lieu suspect pour parler à elle, par quoy, le trouvant à l’entrée de sa chambre, plus remply de collère que de raison, l’auroit tué.