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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/277

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Ire NOUVELLE

« Je vous suplie, mes Dames, regardez quel mal il vient d’une meschante femme, & combien de maulx se feirent pour le péché de ceste cy. Vous trouverez que, depuis que Eve feit pécher Adam, toutes les femmes ont prins possession de tormenter, tuer & damner les hommes. Quant est de moy, j’en ay tant expérimenté la cruaulté que je ne pense jamais mourir ny estre damné que par le désespoir en quoy une m’a mys, & suis encore si fol qu’il faut que je confesse que cest Enfer là m’est plus plaisant venant de sa main que le Paradis donné de celle d’une autre.»

Parlamente, faingnant de n’entendre poinct que ce fut pour elle qu’il tenoyt tel propos, luy dist :

« Puisque l’Enfer est aussy plaisant que vous dictes, vous ne debvez craindre le diable qui vous y a mis. »

Mais il luy respondit en collère :

« Si mon diable devenoit aussi noir qu’il m’a esté mauvays, il feroit autant de paour à la compaignie que je prends de plaisir à la regarder ; mais le feu de l’amour me fait oblier celluy de cest enfer. Et, pour n’en parler plus avant, je donne ma voix à Madame Oisille pour dire la seconde Nouvelle, & suis seur que, si elle vouloyt dire des femmes ce qu’elle en sçait, elle favoriseroit mon opinion. »

À l’heure, toute la compaignye se tourna vers elle, la priant vouloir commencer, ce qu’elle accepta, & en riant, commencea à dire :

« Il me semble, mes Dames, que celluy qui m’a donné sa voix a tant dict de mal des femmes par une histoire véritable d’une malheureuse que je doibtz remémorer tous mes vielz ans pour en trouver une