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IJe NOUVELLE

d’une table & qu’il ne la povoit prendre, & qu’elle estoit si forte que par deux fois elle s’estoit défaicte de luy, desespéré de jamais ne la povoir ravoir vive, luy donna si grand coup d’espée par les reings, pensant que, si la paour & la force ne l’avoyt peu faire rendre, la douleur le feroyt.

Mais ce fut au contraire, car, tout ainsy que ung bon Gendarme, quand il veoit son sang, est plus eschauffé à se venger de ses ennemis & acquérir honneur, ainsy son chaste cueur se renforcea doublement à courir & fuyr des mains de ce malheureux, en luy tenant les meilleurs propos qu’elle povoyt, pour cuider par quelque moien le réduire à congnoistre ses faultes. Mais il estoit si embrassé de fureur qu’il n’y avoit en luy lieu pour recepvoir nul bon cousté, & luy redonna encore plusieurs coups, pour lesquelz éviter, tant que les jambes la peurent porter, couroit tousjours.

Et, quant, à force de perdre son sang, elle senteit qu’elle approchoit de la mort, levant les oeilz au ciel & joingnant les mains, rendit graces à son Dieu, lequel elle nommoyt sa force, sa vertu, sa patience & chasteté, luy supplyant prendre en gré le sang qui, pour garder son commandement, estoit respendu en la révérence de celluy de son Filz, auquel elle croyoit fermement tous