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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/296

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Ire JOURNÉE

costé & d’autre, en ceste amityé, jusques à ce que la vieillesse y meist ordre.

« Voylà, mes Dames, une histoire que voluntiers je vous monstre icy pour exemple, à fin que, quand vos mariz vous donneront des cornes de chevreul, vous leur en donniez de cerf. »

Ennasuite commença à dire en riant : « Saffredent, je suis toute asseurée que, si vous aimez autant que autres fois vous avez faict, vous endureriez cornes aussi grandes que ung chesne pour en rendre une à vostre fantaisye ; mais, maintenant que les cheveux vous blanchissent, il est temps de donner trèves à voz desirs.

— Ma Damoiselle, » dist Saffredent, « combien que l’espérance m’en soyt ostée par celle que j’ayme, & la fureur par l’aage, si n’en sçaurois diminuer la volunté. Mais, puis que vous m’avez reprins d’un si honneste desir, je vous donne ma voix à dire la quatriesme Nouvelle, à ceste fin que nous voyons si par quelque exemple vous m’en pourriez desmentir. »

Il est vray que, durant ce propos, ung de la compaignye se print bien fort à rire, sçachant que celle qui prenoit les parolles de Saffredent à son advantaige n’estoit pas tant aymée de luy qu’il en eust voulu souffrir cornes, honte ou dommaige. Et, quand Saffredent apperçeut que celle qui ryoit l’entendoit, il s’en tint très content & se teut pour laisser dire Ennasuite, laquelle commença ainsy :

« Mes Dames, affin que Saffredent & toute la compaignye congnoisse que toutes Dames ne sont pas semblables à la Royne de laquelle il a parlé & que tous les