Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
IXe NOUVELLE

sa bonne volunté. Mais estant en sa maison, entendit que l’on parloyt de marier ceste fille avecq un Gentil homme qui luy sembla n’estre poinct si riche qu’il luy deust tenir ce tort d’avoir s’amie plus tost que luy, & commança à prandre cueur & emploier ses amys pour parler de sa part, pensant que, si le choix estoit baillé à la Damoiselle, qu’elle le préféreroit à l’autre. Toutesfois la mère de la fille & les parens, pource que l’autre estoyt beaucoup plus riche, l’esleurent, dont le pauvre Gentil homme print tel desplaisir, sachant que s’amye perdoit autant de contentement que luy, que peu à peu, sans autre maladye, commença à diminuer & en peu de temps changea de telle sorte qu’il sembloyt qu’il couvrist la beaulté de son visaige du masque de la mort, où d’heure en heure il alloyt joyeusement.

Si est ce qu’il ne se peut garder le plus souvent d’aller parler à celle qu’il aymoit tant. Mais à la fin, que la force luy defailloyt, il fut contrainct de garder le lict, dont il ne voulut advertir celle qu’il aymoit pour ne luy donner part de son ennuy, &, se laissant ainsy aller au desespoir & à la tristesse, perdit le boire & le manger, le dormir & le repos, en sorte qu’il n’estoit possible de le recongnoistre pour la meigreur & estrange visaige qu’il avoyt. Quelcun en advertit la mère de s’amye, qui estoit dame fort charitable, & d’autre part aymoit tant le