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IXe NOUVELLE

porter cest esfort, fut habandonné de toutes ses vertuz & esperitz, car la joye les feit tellement dilater que le siège de l’ame luy faillyt, & s’envolla à son Createur. Et combien que le pauvre corps demorast sans vie longuement &, par ceste occasion, ne pouvant plus tenir sa prinse, l’amour que la Damoiselle avoyt tousjours celée se déclaira à l’heure si fort que la mère & les serviteurs du mort eurent bien affaire à séparer ceste union ; mais à force ostèrent la vive pire que morte d’entre les bras du mort, lequel ilz feirent honnorablement enterrer. Et le triumphe des obsèques furent les larmes, les pleurs & les crys de ceste pauvre Damoiselle, qui d’autant plus se déclaira après la mort qu’elle s’estoyt dissimulée durant la vie, quasi comme satisfaisant au tort qu’elle luy avoyt tenu, & depuis, comme j’ay oy dire, quelque mary qu’on luy donnast pour l’appaiser, n’a j amays eu joye en son cueur.

« Que vous semble il, Messieurs, qui n’avez voulu croyre à ma parole, que cest exemple ne soyt pas suffisant pour vous faire confesser que parfaicte amour mène les gens à la mort par trop estre celée & mescongneue ? Il n’y a nul de vous qui ne congnoisse les parens d’un cousté & d’autre, par quoy n’en pouvez plus doubter, & nul qui ne l’a expérimenté ne le peult croire. »

Les Dames, oyans cela, eurent toutes la larme à