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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/356

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Ire JOURNÉE

Une fois, allant devers le Roy, selon sa coustume, lequel estoit à Sarragosse en son chasteau de la Jasserye, ceste Dame passa par ung villaige qui estoit au Vice-roy de Cathaloigne, lequel ne bougeoyt poinct de dessus la frontière de Parpignan à cause des grandes guerres qui estoient entre les Roys de France & d’Espaigne, mais à ceste heure là y estoit la paix, en sorte que le Vice-roy avecq tous les Cappitaines estoient venuz faire la révérence au Roy. Sçachant ce Vice-roy que la Comtesse d’Arande passoit par sa terre, alla au devant d’elle, tant pour l’amitié antienne qu’il luy portoit que pour l’honorer comme parente du Roy.

Or il avoit en sa compaignie plusieurs honnestes Gentilz hommes qui, par la fréquentation de longues guerres, avoient acquis tant d’honneurs & bon bruict que chascun qui les pouvoit veoir & hanter se tenoit heureux. Et, entre les autres, y en avoit ung nommé Amadour, lequel, combien qu’il n’eust que dix huict ou dix neuf ans, si avoit il la grace tant asseurée & le sens si bon que on l’eust jugé entre mil digne de gouverner une chose publique. Il est vray que ce bon sens là estoit accompaigné d’une si grande & naïfve beaulté qu’il n’y avoyt oeil qui ne se tint contant de le regarder, &, si la beaulté estoit tant exquise, la parolle la suivoit de si près que l’on ne sçavoit à qui donner l’honneur, ou à la grace, ou à la beaulté, ou au