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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/366

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Ire JOURNÉE

ne se doubtoit en rien de son intention, par quoy elle ne se gardoit de nulle contenance pour ce que son cueur ne souffroyt nulle passion, sinon qu’elle sentoit un très grand contentement quand elle estoit auprès de luy, mais aultre chose n’y pensoit.

Amadour, pour éviter le jugement de ceulx qui ont expérimenté la différence du regard des amans au pris des aultres, fut en grande peyne ; car, quant Floride venoit parler à luy privéement comme celle qui n’y pensoit en nul mal, le feu caché en son cueur le brusloyt si fort qu’il ne pouvoit empescher que la couleur ne luy montast au visaige & que les estincelles saillissent par ses oeilz. Et à fin que, par fréquentation, nul ne s’en peust apparcevoir, se meit à entretenir une fort belle Dame nommée Poline, femme qui en son temps fut estimée si belle que peu d’hommes qui la veoyent eschappoient de ses lyens. Ceste Poline, ayant entendu comme Amadour avoit mené l’amour à Barselonne & à Parpignan, en sorte qu’il estoit aimé des plus belles & honnestes Dames du païs &, sur toutes, d’une Comtesse de Palamos que l’on estimoit la première en beaulté de toutes les Dames d’Espaigne & de plusieurs aultres, luy dist qu’elle avoit grande pitié de luy, veu qu’après tant de bonnes fortunes il avoit espousé une femme si layde que la sienne. Amadour, entendant bien par ces paroles qu’elle avoyt envye de remédier à sa