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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/386

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Ire JOURNÉE

« Allez, & apportez vistement quelque bon vinaigre », ce que le Gentil homme feit. À l’heure Floride commença à dire : « Amadour, quelle follie est montée à vostre entendement, & qu’est ce qu’avez pensé & voulu faire ? » Amadour, qui avoit perdu toute raison par la force d’amour, luy dist : « Un si long service mérite il récompense de telle cruaulté ? — Et où est l’honneur, » dist Floride, « que tant de fois vous m’avez presché ?

— Ha, ma Dame, » dist Amadour, « il n’est possible de plus aymer vostre honneur que je faictz, car, avant que fussiez mariée, j’ay sçeu si bien vaincre mon cueur que vous n’avez sçeu congnoistre ma volunté ; mais, maintenant que vous l’estes & que vostre honneur peut estre couvert, quel tort vous tiens je de demander ce qui est mien ? Car par la force d’amour je vous ay gaignée. Celuy qui premier a eu vostre cueur a si mal poursuivy le corps qu’il a mérité perdre le tout ensemble. Celuy qui possède vostre corps n’est pas digne d’avoir vostre cueur, par quoy mesmes le corps ne luy appartient. Mais moy, ma Dame, durant cinq ou six ans, j’ay porté tant de peines & de maulx pour vous que vous ne pouvez ignorer que à moy seul appartiennent le corps & le cueur, pour lequel j’ay oublié le mien, &, si vous vous cuidez deffendre par la conscience, ne doubtez poinct que, quant l’amour force le corps & le