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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/390

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Ire JOURNÉE

Floride, qui commençoit à congnoistre la malice des hommes par luy, tout ainsi qu’elle avoit esté difficile à croire le mal où il estoit, aussi fut elle encores plus à croire le bien où il n’estoit pas, & luy dist : « Pleust à Dieu que eussiez dict la vérité ; mais je ne puis estre si ignorante que l’estat de mariage où je suis ne me face bien congnoistre clairement que forte passion & aveuglement vous a faict faire ce que vous avez faict, car, si Dieu m’eust lasché la main, je suis seure que vous ne m’eussiez pas retiré la bride. Ceulx qui tentent pour chercher la vertu n’ont accoustumé prendre le chemin que vous avez prins, mais c’est assez ; si j’ay creu légièrement quelque bien en vous, il est temps que j’en congnoisse la vérité, laquelle maintenant me délivre de vos mains. »

Et en ce disant, se partit Floride de la chambre &, tant que la nuict dura, ne feit que pleurer, sentant si grande douleur en ceste mutation que son cueur avoit bien à faire à soustenir les assaults du regret que Amour luy donnoit. Car combien que, selon la raison, elle estoit délibérée de jamais plus l’aymer, si est ce que le cueur, qui n’est poinct subject à nous, ne s’y voulut oncques accorder ; par quoy, ne le pouvant moins aymer qu’elle avoit accoustumé, sçachant qu’Amour estoit cause de ceste faulte, se délibéra, satisfaisant à l’Amour, de l’aimer de tout son cueur, &, obéissant à l’Hon-