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Ire JOURNÉE

de hanter, ne le congnoissoient plus, & ne se habilloit plus que de noir ; mais c’estoit d’une frize beaucoup plus grosse qu’il ne la falloyt pour porter le dueil de sa femme, duquel il couvroit celuy qu’il avoit au cueur. Et ainsi passa Amadour trois ou quatre années sans revenir à la Court.

Et la Comtesse d’Arande, qui ouyt dire que Floride estoit changée & que c’estoit pitié de la veoir, l’envoya quérir, espérant qu’elle reviendroit auprès d’elle ; mais ce fut le contraire, car, quand Floride sceut que Amadour avoyt déclairé à sa mère leur amitié & que sa mère, tant saige & vertueuse, se confiant en Amadour, la trouva bonne, fut en une merveilleuse perplexité pour ce que d’un cousté elle voyoit que sa mère l’estimoit tant que, si elle luy disoit la vérité, Amadour en pourroit recepvoir mal, ce que pour morir n’eust voulu, veu qu’elle se sentoit assez forte pour le pugnir de sa follie sans y appeller ses parens ; d’autre costé, elle voyoit que, dissimulant le mal que elle y sçavoit, elle seroit contraincte de sa mère & de tous ses amis de parler à luy & luy faire bonne chère, par laquelle elle craignoit fortifier sa mauvaise opinion, mais, voyant qu’il estoit loing, n’en feit grand semblant, & luy escripvoit quand la Contesse le luy commandoit ; toutesfois c’estoient lettres qu’il pouvoit bien congnoistre venir plus d’obéissance que de bonne volunté, dont il estoit autant