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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/61

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DE MARGUERITE DE NAVARRE

m’arguent de mensonge, car les Ambassades qu’ils ont envoiés vers le defunct Roy François pourront faire foy qu’il n’est aulcune manière de piété, de bonté, d’humanité, de candeur, de plaisir, que Marguerite n’ayt libéralement practiquée à l’endroit d’euls tous, & tesmoigneront aussi que par sa faveur ils ont tousjours obtenu qu’ils disoient au Roy, & librement & quand ils vouloient, ce qu’ils havoient en charge.

Et toy, Charles Cæsar, si sur ce propos nous t’appellons à tesmoing, tu pourras nous faire certains si Marguerite a esté la plus providente & la plus prudente, voire la plus perfecte de toutes les femmes que tu congnus onc. Car tu as fait tel essay de sa prudence à la délibération de ses entreprises, de sa constance à la poursuite d’icelles, de la modestie dont elle usoit après qu’elle les avoit conduites jusques à leur fin, que tu as publiquement & souventefois confessé, tant has tu le jugement bon à congnoistre les esprits des personnes, que Marguerite de France te sembleoit plus un prodige de Nature qu’une femme. Tu as, dy je, essayé à loisir si sa présence respondoit à la renommée, lorsqu’elle te fut veoir en ton pays d’Espaigne, quand à grande difficulté tu élargis Françoys son frère, trahy des siens & prins des tiens, quelques conditions de paix qu’on te peut proposer & offrir. Dy moi, ô Charles, toy, tes Princes, tes Espaignols, que pensiés vous de Marguerite quand vous la veoiés avoir fait tant de chemin, ou pour delivrer & emmener avec elle son frère, ton prisonnier, ou, si elle ne l’eust peu tirer de tes mains, pour demourer aussi captive & finir la vie avec luy captif ?

Que cuiddons nous, si Platon vivoit aujourd’huy, qu’il diroit de Marguerite ? Quelle sentence donneroit il pour un cœur si héroïque ? Je dy, Platon, si équitable estima-